Fidèle collaboratrice de Citizen Press depuis ses débuts en 1999, Rouja Lazarova, journaliste et écrivaine, vient de publier son cinquième roman, Le Muscle du silence, aux éditions Intervalles. Rencontre.
Dans ton précédent roman, Mausolée, tu parlais de ton enfance dans la Bulgarie communiste d’avant 1989. Dans Le Muscle du silence, tu reviens sur cette période… Penses-tu t’être libérée de ce passé aujourd’hui ?
Oui, désormais, je crois avoir réglé mes comptes avec ce passé, l’avoir mis à distance, grâce à l’écriture. Mausolée était un roman plutôt social, décrivant la vie de trois générations en Bulgarie, des années 1950 à l’ère post-communiste. Le Muscle du silence est un roman plus intime, centré sur un personnage féminin qui raconte comment ce régime contraignant et oppressant l’a affectée jusque dans son corps, dans sa chair. La nourriture industrielle pas fraîche, peu goûteuse, servie dans les cantines obligatoires, et le rationnement étaient entre autres responsables de son anorexie. Et puis, il y avait la peur au ventre au quotidien liée à la présence potentielle de délateurs à la solde du régime ; on ne savait pas qui en était et il fallait sans cesse surveiller ses propos. Le « muscle du silence » est une métaphore, comme si nous avions tous intégré un organe particulier, qui se contractait dès que nous avions envie de parler, symbolisant la peur intériorisée et la parole censurée pour ne prendre aucun risque.
Le personnage masculin, psychiatre rescapé d’un camp de concentration, un peu « clown », aussi, est atypique…
Oui, c’est vrai. Pour lui je me suis inspiré d’une personne que j’ai connue, à laquelle j’ai ajouté des traits de caractère vus chez d’autres ou sortis de mon imaginaire. Je me suis aussi nourrie de témoignages de survivants des camps. J’aime bien tricoter ainsi les caractères. Et j’ai du goût pour les personnages un peu extravagants : l’héroïne l’est aussi.
C’est aussi une histoire d’amour où une femme accompagne un homme malade jusqu’à la mort. Ces passages ont-ils été difficiles à écrire ?
Non, parce que j’ai utilisé de nombreuses images et métaphores et j’ai tenté de garder la force de vie du personnage jusqu’à son dernier souffle. La mort et le désir sont les deux fils rouges du livre.
Peut-on être journaliste et écrivain ?
Oui, bien sûr, les deux métiers se nourrissent ! Ainsi, je fais beaucoup d’investigation pour mes romans. Mais le rythme, la temporalité ne sont pas les mêmes. Quand je dois rédiger plusieurs articles dans un temps resserré, je ne peux pas écrire un roman, je perds un peu la fibre littéraire ; mais heureusement, celle-ci revient quand j’ai du temps et l’esprit libre pour m’y consacrer.
Crédit photo : Corinne Mariaud.